jeudi 7 février 2013

"Lily" (Pierre Perret)

On la trouvait plutôt jolie, Lily,
Elle arrivait des Somalies, Lily,
Dans un bateau plein d'émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris.

Elle croyait qu'on était égaux, Lily,
Au pays d'Voltaire et d'Hugo, Lily,
Mais pour Debussy en revanche
Il faut deux noires pour une blanche
Ça fait un sacré distinguo.

Elle aimait tant la liberté, Lily,
Elle rêvait de fraternité, Lily,
Un hôtelier rue Secrétan
Lui a précisé en arrivant
Qu'on ne recevait que des Blancs.

Elle a déchargé des cageots, Lily,
Elle s'est tapé les sales boulots, Lily,
Elle crie pour vendre des choux-fleurs
Dans la rue ses frères de couleur
L'accompagnent au marteau-piqueur.

Et quand on l'appelait "Blanche-Neige", Lily,
Elle se laissait plus prendre au piège, Lily,
Elle trouvait ça très amusant
Même s'il fallait serrer les dents
Ils auraient été trop contents.

Elle aima un beau blond frisé, Lily,
Qui était tout prêt à l'épouser, Lily,
Mais la belle-famille lui dit nous
Ne sommes pas racistes pour deux sous
Mais on veut pas de ça chez nous.

Elle a essayé l'Amérique, Lily,
Ce grand pays démocratique, Lily,
Elle aurait pas cru sans le voir
Que la couleur du désespoir
Là-bas aussi ce fût le noir.

Mais dans un meeting à Memphis, Lily,
Elle a vu Angela Davis, Lily,
Qui lui dit viens ma petite sœur
En s'unissant on a moins peur
Des loups qui guettent le trappeur.

Et c'est pour conjurer sa peur, Lily,
Qu'elle lève aussi un poing rageur, Lily,
Au milieu de tous ces gugus
Qui foutent le feu aux autobus
Interdits aux gens de couleur.

Mais dans ton combat quotidien, Lily,
Tu connaîtras un type bien, Lily,
Et l'enfant qui naîtra un jour
Aura la couleur de l'amour
Contre laquelle on ne peut rien.

On la trouvait plutôt jolie, Lily,
Elle arrivait des Somalies, Lily,
Dans un bateau plein d'émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris.

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